Face à l'explosion des besoins éducatifs particuliers, quels outils et coopérations inventer ? Recommandations d'une observatrice à multiple casquette : éducation nationale, MDPH, élue...
Qui je suis ?
Je suis à la fois enseignante remplaçante en primaire, élue de terrain auprès des familles, membre de la Commission d’Attribution des Droits (CDA) de la MDPH et Vice-présidente Handicap de Loire-Atlantique (établissements et services médico-sociaux). J’ai ainsi une position privilégiée d’observatrice des difficultés de l’écosystème éducatif face à l’explosion des besoins éducatifs particuliers.
Constats à propos des élèves à besoins éducatifs particuliers
Côté école
Lorsque je passe d’école en école, je ne peux que constater la solitude des professionnelles* de l’éducation nationale, enseignantes comme AESH, face aux situations complexes rencontrées et l’absence d’aide et de soutien au quotidien. Il y a une méconnaissance des procédures, des droits, des outils liée à la faiblesse de la formation spécialisée dans les multiples handicaps pouvant être présents en classe.
Les liens avec les parents sont complexes de part et d’autre. Pour l’enseignant, le point de départ est l’annonce de difficultés, et donc un constat d’échec à partager. Ce moment est forcément difficile et désagréable. Pour le parent, c’est la plongée dans un univers compliqué et parallèle s’apparentant à un parcours du combattant. Les besoins des uns et des autres s’entrechoquent et amènent parfois des guerres larvées face aux incompréhensions et difficultés. L’équipe éducative pouvant parfois ressembler à un tribunal à charge ou un lieu du constat de l’impuissance de la structure.
Côté MDPH
Côté MDPH, l’inflation exponentielle des dossiers, toujours complexes, entraîne des délais qui s’allongent. Il faut de nombreux éléments pour statuer sur les droits d’un enfant. D’autant plus, sans le rencontrer. En Loire-Atlantique, la CDA prend en moyenne 2000 décisions par semaine. Ces droits sont accordés pour tout un cycle alors que les situations peuvent évoluer très rapidement, dans un contexte de pénurie de ressources médico-sociales. Et quand la situation de l’enfant s’améliore et que l’on décide d’alléger l’accompagnement pour favoriser la nécessaire autonomie, c’est souvent l’incompréhension qui domine.
Quant aux AESH, c’est un peu la loterie. Elles accompagnent un ou plusieurs enfants selon des critères opaques et sans feuille de route. On n’accompagne pas de la même manière un enfant porteur de troubles autistiques sévères, un dyslexique ou avec une déficience sensorielle. Comment se positionner dans la classe ? Quels outils, quels aménagements mettre en place ? Quelle est la place de chacun avec l’enseignante ?
On est face à des mondes qui se côtoient, mais ne se rencontrent pas toujours.
Préconisations
Identification des besoins éducatifs particuliers
L’arrivée en maternelle ou l’entrée dans la lecture sont fréquemment les premiers jalons d’identification de besoins éducatifs particuliers. L’enseignante a le devoir de mettre en place des adaptations. Cependant, elle n’est ni une professionnelle du handicap ni une assistante sociale. Une aide devrait pouvoir être apportée dès les premiers doutes, avec une grille de questions.
Lorsque les aménagements « raisonnables » ne suffisent plus, il faudrait pouvoir bénéficier d’un entretien/évaluation avec une professionnelle du médico-social afin de rédiger le PPRE, préconiser outils et aménagements à partir d’observations en classe, à partager avec la famille. Avec des critères objectifs de réussite ou de besoin d’approfondissement, en lien avec les référentiels MDPH.
Besoins plus soutenus
Si ce PPRE ne suffit pas et que, visiblement, les besoins nécessitent une aide soutenue, il faudrait alors pouvoir accompagner famille et enseignante dans la rédaction du dossier MDPH et du Gevasco. Avec pour la classe des besoins identifiés et quantifiés : AESH individualisée ou mutualisée pour mettre en place un plan d’aide spécifique. Dans le médico-social, c’est ce que l’on appelle le Projet pour l’Enfant (PPE). On le rédige avec le jeune chaque année pour individualiser ses apprentissages et valider les réussites et progrès.
Dans ce projet devrait être précisé quel est l’accompagnement attendu de l’AESH et sa place dans la classe. Cela aiderait notamment les PIAL à sélectionner le profil de la professionnelle et une éventuelle formation préalable à la prise en charge, afin de disposer des outils éducatifs spécifiques pouvant être nécessaires (tablette, pictos, casque, espace au calme dans la classe, horaires aménagés…).
Critères de réussites
Ce PPE, ajouté au Gevasco, permettrait à la MDPH d’évaluer plus finement et rapidement les droits de l’enfant. Et cela avec moins de contestations. Les critères de réussite devraient permettre, de cycle en cycle, de valider des allègements d’accompagnement pour favoriser l’autonomie ou au contraire se préparer à des demandes d’orientations spécifiques vers une ULIS, un DITEP ou IME ou l’intervention d’un SESSAD.
Étant donné l’explosion des besoins, ces aménagements seraient relativement peu coûteux. Faciliter, via l’intervention ponctuelle d’une professionnelle du médico-social, la mise en place rapide d’aménagement et le dialogue avec les familles permettraient d’agir plus rapidement pour apaiser les situations et l’ambiance de classe.
Le PPE permettrait de mieux affecter les AESH, de caractériser leur rôle et leur complémentarité avec l’enseignante (qu’elles ne doivent pas remplacer). On validerait aussi les réussites et progrès du jeune, et pas uniquement ses manques et ses besoins. Parents comme professionnels, on a tous besoin de positif pour avancer, et de marqueurs pour se préparer aux réorientations lorsque nécessaires.
Par contre, le travail autour du PPE doit compter dans les heures de service. En effet, préparation, réunion, concertation entre professionnelles, ce sont des heures et des heures de travail en plus pour l’enseignante. Il faut donc les valoriser. Les déduire des 108 h, voir permettre de réaliser sur ½ journée de temps scolaire banalisée avec remplacement.
* texte volontairement rédigé avec les professions au féminin suivant l’ancienne loi de l’accord au plus grand nombre. Messieurs, vous êtes inclus dans ce féminin collectif.