[Air Haine] Comment toi aussi tu l’as fait monter…

Billet d'humeur

Infusion lente du discours nauséabond de l’extrême-droite

Je suis en contact avec mes anciens élèves de SEGPA sur Facebook. Une bonne partie d’entre eux sont désormais parents et adhèrent aux idées de l’extrême-droite (je ne sais pas s’ils vont vraiment voter).
Bolloré et un labourage méthodique de terrain depuis 2017 (décuplé depuis 2022 par les 89 député·es, poli·es et bien peigné·es qui font le tour des comices) ont permis de faire entrer un récit dans nos têtes. Dans un monde de plus en plus fluctuant, nous avons besoin de nous rassurer. Et le RN a une réponse : « si on mate les fainéants au RSA, les migrants et les jeunes musulmans délinquants qui vendent de la drogue (on peut être les 3), le calme pourra revenir. Alors, nous pourrons consommer en toute quiétude, avec plus de pouvoir d’achat, vu qu’ils prennent toutes les allocs avec tous les enfants qu’ils font. »
Ce discours, il a infusé dans toute la société. L’idée s’est installée qu’on a un problème avec l’Islam et un « problème de migrants » à Nantes ; ils ont installé dans l’esprit de beaucoup d’entre nous que « le niveau baisse » sans qu’on ait jamais trop su de quoi on parlait (Orthographe ? Raisonnement ? Programmation informatique ?) ; laissez traîner à la machine à café l’idée que les jeunes sont délinquants de plus en plus jeune et qu’on assiste à un ensauvagement de la société, on approuvera, on trouvera un exemple autour de soi.

Postulat de cohérence

Il me semble que ce que nous n’avons pas su faire collectivement, c’est appliquer le postulat de cohérence aux électeurs du RN. C’est-à-dire que nous avons beaucoup de mal à nous dire que les personnes qui votent RN ont des raisons légitimes (et pas absurdes) d’avoir peur, d’être triste et/ou en colère et d’adhérer à ce récit.

Sur quoi j’ai la main ?

Mais alors, qu’est-ce qu’on peut faire ? Sur quoi j’ai la main ? Comment on dépollue des esprits ? Comment on soigne une addiction à une certitude ? Où est-ce que je peux mettre mon énergie ?

La mienne en tout cas, j’ai envie de la mettre dans le labourage de terrain, en ayant un nouveau récit à proposer. Un récit qui propose aussi de retrouver un sentiment de sécurité, mais d’une autre manière, à travers deux choses que propose notamment la justice restaurative : « une sécurisation des relations avec des sanctions éducatives solides et une formation des élèves aux démarches de gestion non-violente des conflits relationnels » comme le formule Sylvain Connac.
Le récit d’une école qui conjuguerait acceptation inconditionnelle de la personne et acceptation conditionnelle des comportements. « Justice and mercy » disent les anglo-saxons. Une école au sein de laquelle les adultes travailleraient sans relâche la mère des CPS (compétences psychosociales) : sentir ce que l’on pense et penser ce que l’on ressent (Daniel Favre). En commençant par eux-mêmes. Une école accessible qui protège, pas un sanctuaire bunkerisé avec des portiques.
Mais avant de semer de nouvelles graines, assurons-nous que le terrain n’est pas trop pollué… Sur le terrain des idées, la pollution, ça commence par des postulats erronés. Nous participons toutes et tous à l’installation de ces constats dans nos têtes, au point d’en faire des évidences qui passent crème. Ils deviennent une norme partagée.
Et moi, comment je réagis quand une discussion se lance en famille, au boulot ou dans mon association ? Est-ce que je laisse certaines choses se dire ? Est-ce qu’il n’est pas là aussi le moment où leurs idées se diffusent ?
Quelques exemples de moments où l’on pourrait intervenir, selon sa forme du moment, selon qu’on se sent d’humeur rebelle ou plutôt moutonnière.

Dépolluer son terrain avant celui du voisin…

Identité et immigration

« Marine Le Pen, c’est la seule qui est claire sur la laïcité. Et quand il fait beau, c’est pas parce que Marine Le Pen dit qu’il fait beau, qu’il faut dire le contraire. Il y a une vague migratoire. »

Notre identité serait menacée. Pour commencer, il serait intéressant de se demander ce qui fait une identité. Les Doors que j’écoutais en boucle au lycée ? L’aumônerie où j’allais une heure par semaine au collège ? Ces vieux potes avec qui j’ai fait les 400 coups ? Ma famille bretonne ? 95, l’année des Champions ? Pourquoi une telle crispation sur telle ou telle influence alors que nous sommes faits de tant d’autres choses ? Pas envie de choisir entre antisémite ou islamophobe, non merci.

Ensuite, l’est-elle vraiment si l’on regarde avec un peu d’attention les chiffres suivants issus de cette présentation de François Héran ?

La France prend en compte moins de 5 % des demandes d’asile en Europe venant du proche et Moyen-Orient, quand l’Allemagne en accueille presque 50 % (et 5 % des Ukrainiens quand l’Allemagne en accueille 41 %). 

Sur ces 25 dernières années, le pourcentage d’immigrés en France a progressé de 10 à 13 %, soit un des taux les plus faibles d’Europe, c’est ça qu’on appelle une « immigration hors de contrôle » ?

Ajoutons que le rapport annuel 2021 de l’OCDE sur l’impact budgétaire de l’immigration montre que l’immigration n’a pas d’incidence sur les finances publiques. Et on pourrait même considérer, dans un élan de générosité, que cela ne serait pas un problème en soi que cela nous coûte un peu…

Sécurité et autorité

« On voit des jeunes de plus en plus jeunes avec des armes et dans des bagarres très violentes. »

La violence monterait et on ne saurait plus se parler. Ah bon ? Parce qu’en 1960, quand les filles et les garçons n’allaient pas à l’école ensemble et quand votre maître pouvait vous tirer les oreilles et foutre des claques aux élèves, on savait mieux se parler ? Et les skinheads et les punks, ça n’existait pas dans les années 70-80 ? Et le petit Grégory, il n’a pas été violenté ?

Une vidéo rigolote de 2 minutes de David Castello-Lopes pour se convaincre :

Le monde est-il de plus en plus violent ? – Le Chiffroscope

En France, le taux de crimes et délits tourne aujourd’hui autour de 50/an pour 1 000 habitants là où il était à 60 au début des années 2000. Côté meurtres, le nombre d’homicides pour 100 000 habitants a lui été divisé par 2 en 30 ans. Même le sentiment d’insécurité des Français mesuré annuellement par l’Insee est relativement stable depuis 15 ans.

Mais alors d’où viendrait le problème ? De la « surmédiatisation«  de ces phénomènes de violence, mais peut-être aussi, comme l’analyse la sociologue Marie-Claire Villeval (CNRS) citée par Les Echos, « d’une montée brutale des égoïsmes (lors des confinements), qui s’est ensuite stabilisée sans redescendre ». La conséquence : « une rupture des liens et une communication sociale plus directe et plus cassante qui donne un sentiment de violence, de tension et de stress ». (Extrait de TTSO)

Pouvoir d’achat

« Les gens, ce qu’ils veulent, c’est gagner assez pour remplir leur frigo jusqu’à la fin du mois ».

Alors oui, il y a « des gens », trop de gens qui ont du mal à finir le mois, mais il y a aussi « des gens » qui roulent en Tesla et qui sont propriétaires. Début 2021, 17,6 millions de ménages sont propriétaires de leur résidence principale en France. Ils représentent 57,7 % des ménages, une part en progression quasi continue depuis 1985 (+ 5,7 points). En 2022, la France comptait 2,88 millions de millionnaires (j’ai eu besoin de vérifier plusieurs fois ce chiffre) !

Partout dans le monde, on bat des records de hausse des températures. Le nombre de morts à cause des grosses chaleurs (52° en Inde…) est sous-estimé.

Selon l’OMS, en 2022, 43 % des adultes âgés de 18 ans et plus étaient en surpoids et 16 % étaient obèses. On monte à 67 % de personnes en surpoids dans les Amériques.
Vous saviez que si vous gagnez 3 000 euros net avant impôts, vous êtes parmi les 25 % les plus riches de France ? Non ? Allez donc faire un tour sur un comparateur de salaires et de patrimoine : https://inegalites.fr/comparateur-salaire.
Quand est-ce qu’on partage ? Quand est-ce que j’arrête de me comparer avec celui ou celle (plutôt celui) qui gagne un peu plus que moi ? Qui commence ?
« On ne change pas les choses en s’opposant à ce qui existe déjà. Pour que les choses changent, il faut construire un nouveau modèle qui rende l’ancien obsolète. » Richard Buckminster Fuller