Au pays de la rentrée « normale »

« Une rentrée aussi normale que possible ». C’est ainsi que le ministre de l’Éducation Nationale présentait les semaines à venir lors de sa traditionnelle conférence de presse de rentrée le 26 août. Une rentrée « normale » c’est probablement ce que beaucoup d'entre nous souhaiteraient...

Les personnels ont besoin de retrouver leur lieu de travail, les élèves ont besoin d’Ecole, la société tout entière a besoin d’Ecole. Mais en ces temps de covid une rentrée normale semble une illusion, un horizon inatteignable, un mirage.

Pour les personnels c’est aussi et surtout une réalité à laquelle ils et elles ne vont pas tarder à se cogner. Au premier coup d’œil tout semble pourtant « normal ». Les classes n’ont pas été allégées. Les emplois du temps, les programmes non plus. Les effectifs des personnels n’ont pas été significativement augmentés. Tout juste les établissements du 2nd degré pourront-ils utiliser les heures supplémentaires qui n’ont pas été consommées au printemps. Les grands travaux, un temps envisagés pour s’adapter à la situation sanitaire, n’ont pas eu lieu. Seuls les masques, obligatoires pour les personnels et les élèves à partir de 11 ans, permettront à coup sûr de distinguer cette rentrée de toutes celles qui l’ont précédée.

Et le virus ? Tel le chat du Cheshire il semble parti pour apparaître et disparaître pour un bon moment encore. Mais comme lui, il sera toujours là. La rentrée étant voulue comme « normale », a-t-on donc renoncé aux précautions sanitaires du printemps ? Pas vraiment. On l’a dit, la grande adaptation n’a pas eu lieu.

Nous avions au mois de juin fait 12 propositions pour cette rentrée. En cette fin août on peut aisément dire que ce pari n’a pas été tenu.

Le pari fait par le ministère est tout autre, c’est celui de la réaction. Voici donc un plan b en cas de souci, un plan c en cas de gros gros souci. Un choix qui a eu le mérite de demander beaucoup moins de travail et de préserver l’apparence de la normalité. Mais un choix sacrément risqué. D’ailleurs, si le protocole s’est considérablement allégé, il est cependant toujours là, accompagné de recommandations qui nécessitent toutes du temps, de la concertation, de la vigilance et des moyens pour être appliquées.

Il faut donc faire à la fois une rentrée « normale » et faire plus. Fonctionner comme on en a l’habitude ET freiner la propagation du virus. La rentrée n’a pas encore eu lieu que cela paraît d’ores et déjà compliqué voire impossible. Les établissements scolaires, les services, les universités fonctionnent déjà en temps normal au maximum de leurs capacités, en tirant sur la corde à tous les niveaux : personnels, locaux, matériel etc. La conséquence d’années voire de décennies de sous-investissement, passées à chasser les économies plutôt qu’à dessiner des améliorations. Il y a un peu moins d’un an, nous exprimions ce constat : la corde est tout près de rompre. Et c’était avant la pandémie.

Comment pourrait-on faire plus alors qu’il y a quelques mois il était d’ores et déjà impossible de faire assez ? Comment pourrait-on s’adapter à la situation sans renoncer à quoi que ce soit, sans donner les moyens nécessaires ?

Les consignes, quant à elles, continuent d’arriver au compte-goutte. Des dispositions essentielles, comme celles concernant les personnels vulnérables, n’ont été tranchées que lors de la dernière semaine d’août. Les consignes pour des éléments aussi cruciaux que la restauration, les internats, les récréations, l’éducation physique ou l’éducation musicale sont arrivées le vendredi précédant la rentrée, à 20h56. Et dans beaucoup d’écoles ou d’établissements on se rend compte qu’il est en l’état tout simplement impossible de les appliquer.

Qu’importe ! La communication ministérielle n’attend pas. Les (pas si) petits arrangements avec la réalité non plus, qu’il s’agisse de minimiser le décrochage scolaire durant le confinement sans données fiables pour l’affirmer ou de justifier l’absence de fourniture de masques aux élèves en mentant sur ce qui se fait dans les pays voisins. Le jeudi 27 août le ministre et le recteur de l’académie de Créteil faisaient cette déclaration de concert : le 1er trimestre doit permettre de « rattraper le retard ». Un retard sur qui ? Sur quoi ? A rattraper comment ? Pourquoi ? On n’en saura pas plus. Le système scolaire français est ainsi fait. Comme le lapin d’Alice au pays des Merveilles, courant sa montre à gousset à la main, il est toujours en retard, en retard. Il ne s’est même pas demandé s’il avait rendez-vous quelque part.

 

Quelle place dans ce cadre pour l’action syndicale ? Elle nous paraît essentielle pour répondre aux interrogations des personnels, rappeler et faire appliquer les textes réglementaires, signaler les dysfonctionnements. Mais aussi et surtout favoriser le dialogue, l’expression d’une intelligence collective qui seule peut permettre l’émergence de solutions pertinentes au niveau local. Nous ne renoncerons pas à traiter l’urgence de certaines situations, surtout quand celles-ci peuvent mettre en danger élèves et personnels. Nous continuerons à dessiner des perspectives pour une vision plus exigeante du service public, qui soit plus respectueuse des personnels et des élèves. Et nous inviterons encore et toujours notre ministre à venir voir ce qui se passe de l’autre côté du miroir.