Bazar… Bazar… Moi j’ai dit bazar ? Comme c’est l’bazar…

Ordre, contre-ordre, désordre. C’est un peu le bazar là, non ? Ça vous dit une grille de lecture pour essayer d’y voir plus clair ?

C’est un peu le bazar là, non ?

Quel est le lien entre ce dessin et ce qui se passe actuellement dans l’Éducation Nationale et dans le fonctionnement de notre société ?

bazar

Eh bien c’est la gouvernance. Ce gros mot dont on a pas envie de s’occuper parce qu’on se dit que “ce n’est pas le moment” et/ou parce que cela nous em… profondément de nous plonger dans des statuts et autres règlements intérieurs.

Or, nous le payons cher notre mode d’administration. Cher en argent mais aussi en temps. Ordres, contre-ordres, désordre, un festival d’injonctions paradoxales.

En effet, nous avons pu constater que dans une période de grande incertitude comme celle que nous vivons, la réactivité d’un tel système n’est pas au rendez-vous. En réalisant qu’il n’avait pas la main sur les réalités locales, notre gouvernement a été contraint d’officialiser une décentralisation forcée. “Donner un maximum de souplesse au terrain” devient la consigne. Mieux vaut tard que jamais mais le problème c’est que nos logiciels ne sont pas prêts. Nos logiciels informatiques mais aussi nos logiciels mentaux. En effet, des années d’infantilisation produisent des comportements infantiles. Autrement dit, en maintenant des personnels dans une posture d’exécutants, on n’aide pas à la prise de responsabilité, on ne rend pas les gens pro-actifs. Dans un monde plutôt stable, ces organisations tayloriennes du travail ont permis de réaliser de grandes choses mais elles ne correspondent plus aux niveaux de complexité auxquels nous avons aujourd’hui à faire face. 

Ça vous dit une grille de lecture pour essayer d’y voir plus clair ?

Ishak Adizes nous fournit une grille de lecture précieuse pour mieux comprendre ce qui se passe dans toute organisation humaine quelle qu’elle soit.

Il recense 4 grandes fonctions qu’il définit comme 4 ingrédients nécessaires et indispensables à la survie d’un collectif : 

  • P (Production) : La production de biens ou services, chargée au jour le jour de rendre effectif ce pour quoi nous avons créé un collectif.
  • A (Administration) : L’administration, en charge de la ritualisation, de la mise normes et en règles de cette production (instances, hiérarchie, statuts, règlement intérieur).
  • E (Entreprendre) : La créativité, l’esprit d’entreprendre, chargée de prendre des risques, d’innover (et peut donc entrer facilement en contradiction avec l’administration).
  • I (Intégration) : L’entente sociale entre les personnes, la bonne intégration de chacun(e). Sa fonction : réguler les interactions, assurer une bonne ambiance.

Ce qui me semble très intéressant c’est ce qu’il nous dit concernant l’articulation de ces 4 fonctions essentielles :

  1. si vous en négligez une trop longtemps, votre organisation se casse la figure. Prenons l’exemple célèbre de la firme Kodak qui dominait le marché de la photographie et n’a pas pris le tournant du numérique, négligeant ainsi le E.
  2. chaque personne se sent plutôt attirée par un des pôles en fonction de ses compétences et de sa personnalité, ce qui permet de prendre conscience du fait que la diversité des profils est nécessaire au sein d’une organisation.
  3. certaines de ces fonctions peuvent être contradictoires selon les situations, ce qui peut expliquer une partie des tensions qui naissent entre collaborateurs. Par exemple,  être proactif et innovant entre parfois en contradiction avec le besoin de stabilité et de normes ; les logiques de court terme (P) et de long terme (I) peuvent également être mises en tension.

Mettre à plat tout cela c’est se demander ce que notre organisation délaisse en ce moment et qui risque de nous rattraper (ne t’occupes pas de gouvernance, la gouvernance va s’occuper de toi).

Dans une avalanche, aucun flocon ne se sent responsable. Stanislas Jerzy Lec

Ainsi, je fais l’hypothèse que nous (un nous très large comprenant nos partis, associations, syndicats, institutions) avons trop longtemps négligé le A. Le A a mauvaise presse. Le A c’est le trésorier qui vient présenter le bilan financier alors que c’est bientôt l’heure de l’apéro. Le A ce sont des statuts et des instances forcément obsolètes (du fait du temps qui passe) que plus personne ne lit sauf en cas d’urgence mais qui continuent à nous structurer. Le A ce sont toutes ces petites règles implicites que l’on installe pour s’adapter au réel mais qui présentent le risque de créer beaucoup de “culture off” quasiment illisible pour le nouvel arrivant. Une culture qui encouragera les jeux politiques et le bal des egos plutôt que la confiance et le respect mutuel.

Au passage, il me semble que réside ici une des différences fondamentales entre nous et d’autres syndicats comme FO, SUD, la CGT ou la FSU. Ces organisations considèrent en effet l’Administration comme l’ennemi. Il suffit de participer à une seule instance de type CT ou CAP pour s’en convaincre, ne serait-ce qu’à travers la manière dont leurs représentants s’adressent aux personnels de cette administration. Au Sgen-CFDT, nous pourrions être d’accord pour dire que le A a pris trop de place dans notre bureaucratie pyramidale descendante (surtout en regard du E dont nous nous sentons dépositaires depuis des années, dans une logique de syndicalisme de proposition) et pour le remettre à sa place, mais pas pour le supprimer ! 

Thomas Coutrot rejoint cette analyse lorsqu’il écrit que « la gauche » et “les syndicats” se sont beaucoup intéressés depuis 40 ans à la question de la répartition des richesses, du temps de travail, du droit du travail, mais plus du tout à la question pourtant fondamentale de l’organisation du travail et donc du partage du pouvoir d’agir au sein des collectifs de travail.

Cette crise l’aura mis en lumière. Quand on est dans l’obscurité ou la pénombre, il peut être utile de la regarder pour nous diriger vers la sortie…

Nous ne savons pas ce qui se passe et c’est ça qui se passe. Ortega y Gasset

Pour aller plus loin : un dossier sur un nouveau mode de gouvernance que nous expérimentons depuis 4 ans.