Militant(e) limitant(e)

Je ne veux plus militer (du latin "militare" : être soldat). Je ne veux plus être militant. Parce que le mot peut contenir en lui-même les conditions de son échec (3 minutes de lecture)

Accueillir « ce qui est »

Lorsque je milite, je me bats, je veux (me) (dé)battre, je lutte, je défends… D’ailleurs, j’ai souvent entendu l’expression « armer les militants ». On les arme d’arguments, bien sûr, mais on les arme quand même… En militant toutes ces années, j’ai compris qu’en luttant contre quelque chose, on peut finalement le renforcer.

Prenons un sujet qui me tient à coeur : l’école inclusive. Je milite depuis des années pour l’école inclusive. Parce que j’ai travaillé pour les exclus de notre système éducatif. Parce que ma fille handicapée s’en est trouvée exclue également. Parce que je pense avoir compris certains mécanismes institutionnels qui permettent ces exclusions. Mais comment puis-je convaincre celles et ceux qui n’en sont pas encore convaincus ? (cons vaincus ?). Eh bien, force est de constater que je ne peux pas.

Ce n’est pas en tirant sur les feuilles qu’on fait pousser une plante. Proverbe

En m’indignant, en protestant, en me scandalisant, j’ai probablement attiré l’attention, voire un peu de compassion, au mieux ai-je provoqué quelques dissonances, mais j’ai probablement braqué des interlocuteurs. Lorsque je démontre à une collègue de CM2 qui pense aider des élèves en les orientant en SEGPA, qu’elle participe en fait à une ségrégation sociale, est-ce que ça fait tilt ou est-ce que ça fait flop ? Lorsque je dénonce une Institution froide et inhumaine, qui va le prendre pour lui ? C’est qui l’Institution ? Lorsque je m’insurge contre la gabegie des taxis qui emmènent tous les matins les enfants des IME loin de chez eux, que vais-je réellement changer ? Essayez de vous souvenir d’une situation au cours de laquelle une culpabilisation vous a permis de vous engager dans une action sincère et durable.

De plus, je suis devenu M. Inclusion, privant ainsi mes collègues de leur responsabilité. « C’est bon ! Quelqu’un va s’en occuper… ». C’est MON sujet. Je peux, tel un lanceur d’alerte, attirer les projecteurs sur mon alerte, mais encore une fois : quels changements profonds auront eu lieu chez celles et ceux qui auront « mis un like », attendris 5 minutes ?

Ainsi, j’ai choisi (pour l’instant) de conserver mes convictions mais de ne plus me battre pour con-vaincre car j’observe que les moyens qu’on utilise pour ce faire entrent trop souvent en contradiction avec les valeurs qu’on prône par ailleurs. La fin ne justifie pas n’importe quel moyen.
Autrement dit, être convaincu sans essayer de convaincre peut aider à convaincre (tu peux relire une deuxième fois).
L’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul. Gandhi
« Je vous vois hésiter… Ne devons-nous pas défendre nos valeurs ? Je vous réponds : si vous tenez à vos valeurs, ne les défendez surtout pas ! Ce n’est pas en les brandissant comme des impératifs que vous parviendrez à les diffuser et à faire reculer la connerie. Car ce ne sont pas vos valeurs qui vous distinguent, ce sont vos rapports [aux autres] et la qualité de vos rapports. Vos valeurs, en tant qu’elles expriment votre attachement à certains types de rapports, ont évidemment toute ma sympathie. Mais elles se condamnent à la contre-performance dans la mesure exacte où vous les affirmez de manière inconditionnelle (…) Soignez vos interactions et vos valeurs suivront. »
Maxime Rovère dans son excellent livre « Que faire des cons ? Pour ne pas en devenir un soi-même. »
Dans son livre suivant, il enchaîne sur la transmission des valeurs : « La transmission c’est un faux modèle parce que la transmission suppose que quelqu’un a quelque chose et qu’il vous le passe comme ça, comme un objet qu’on passerait de main à la main. Dans l’enseignement, le plus important c’est pas ce qu’on passe c’est la manière dont la personne réagit, dont elle va se l’approprier, dont elle va le transformer, l’inverser. Et donc transmettre ça participe d’une nostalgie qu’ont les ainés par rapport à leur propre expérience »

Wu Wei

Derrière ces termes, on retrouve la philosophie orientale du WuWei, souvent traduite par « non-agir » ou « non-intervention ».

Elle décrit « une attitude de réceptivité et de disponibilité extrême aux événements et aux situations dans lesquels nous nous trouvons inclus et impliqués sans en avoir la maîtrise ». Inspirant dans la période, non ?

Pendant le confinement, j’avais commencé à développer cette idée que nous allions devoir « faire avec » : un-éloignement-qui-rapproche.

Quand on change de paradigme, on change de vocabulaire, alors on va dire quoi si on ne dit plus « militant·e » ? Je propose « rôle X ou Y » ou « holons » si on veut mettre l’accent sur le rôle qu’on tient, ou « membre actif  » si on pense aux personnes. Le débat est ouvert.