Lorsque vous naviguez et que le brouillard tombe, vous passez en navigation à vue. Vous ne pouvez faire qu'avec les éléments les plus proches que vous pouvez apercevoir. Vous deviez aller quelque part mais vous révisez vos plans, voire vous vous arrêtez pour attendre que ça passe...
Nos ministres français ont dit à la rentrée : « On est prêt à tout. »
La ministre belge a déclaré de son côté : « Je ne m’attends pas à une année facile. »
Deux écoles
La première se paye de mots. On est presque dans la méthode Coué. « Ça va passer, ça va passer. » Ne pas montrer de failles, ne pas passer pour ceux qui ne maîtrisent pas. On essaye alors de faire rentrer l’incertitude dans les formats habituels. De tout faire au maximum comme avant, « comme une rentrée normale ». Sauf que le brouillard est toujours là. Et qu’ouvrir les parapluies n’aidera pas à le dissiper…
La deuxième reconnaît qu’elle va naviguer à vue. On ne se raconte pas d’histoire. On va faire du mieux qu’on peut, au jour le jour, à l’heure l’heure, à la minute la minute. Face à l’incertitude, personne n’a LA réponse. Mais on va essayer de cheminer et de trouver ensemble, toutes et tous dans le même bateau.
Si c’est la deuxième logique à laquelle nous aspirons, poussons-la jusqu’au bout, si vous le voulez bien. Dans une telle situation VICA (Volatile, Incertaine, Complexe et Ambiguë), ceux qui sont en haut de la hiérarchie n’ont guère d’autre choix que de faire confiance à celles et ceux qui font. Mais sur le pont, on va devoir aussi se passer de consignes et autres process qui tombent d’en haut. Or dans la situation actuelle, on pourra trouver ironique que même le MEDEF réclame des consignes claires (quand c’est la m… l’État retrouve un intérêt… on revient à la maison voir papa). Dans notre fonctionnement pyramidal, nous nous retrouvons ainsi dans une situation qui peut sembler paradoxale en réclamant d’un côté plus de « liberté pédagogique », et de l’autre des consignes et un cadrage national fort.
Faisons donc le deuil de ces consignes nationales claires et cohérentes en matière d’accueil scolaire. Parce que vu d’en haut, on ne voit pas mieux à travers le brouillard. Et parce que naviguer dans le brouillard dans le Golfe du Morbihan ne présentera pas les mêmes contraintes que sur le lac de Paladru (la marée, le nombre de cailloux, les îles, …). Nous avons été forcés de constater qu’une école de 18 classes de Bondy n’avait pas les mêmes besoins face à cette crise que celle de la Chapelle-aux-Choux en Sarthe.
Qui tient la barre ?
Ce que nous pouvons réclamer c’est : « Donnez-nous un cap parce que vous avez peut-être une vision plus globale de la carte, mais laissez-nous naviguer ! ». Nous avons besoin à la fois d’un cadre qui nous sécurise (Système de motivation SM1 chez Daniel Favre), et d’espaces pour prendre des risques et innover (SM2). Mais reste à définir ce sur quoi on laisse l’initiative locale et ce qui relève plutôt de choix nationaux. C’est ce qu’on appelle le principe de subsidiarité : attribuer au bon échelon la bonne décision (ce à quoi on pourrait ajouter : et supprimer des échelons si nécessaire).
Philippe Meirieu avait trouvé cette formule qui résume toujours aussi bien la situation mais qui nécessite de s’y reprendre à deux (ou trois) fois :
Nous sommes jacobins sur les moyens et girondins sur les fins, alors qu’il faudrait faire l’inverse
En inversant cette logique, l’autonomie des écoles et des établissements pourrait devenir celle des équipes. En effet, elles apportent des solutions propres au contexte dans lequel elles se trouvent. Mais ceci dans le respect d’un cadre national définissant clairement les objectifs et les finalités du système éducatif. Une école plus adaptée aux réalités locales, ce pourrait être une école qui est plus claire sur les finalités. Et également plus souple localement sur les procédures et les dispositifs à mettre en œuvre pour y parvenir. On peut le vérifier jusqu’à l’échelon d’un établissement. Les équipes vivent bien mieux les adaptations du protocole sanitaire si elles sont associées à sa préparation et sa mise en œuvre.
« Nous sommes sur-administrés et sous-encadrés », écrivait-il. C’est encore plus frappant dans le brouillard.