Billet d'humeur de Florent Ternisien qui en a gros...
Je me souviens des soirĂ©es Ă©lectorales lorsque j’Ă©tais enfant (oui, je viens de ce genre de familles oĂč Ă 9 ans, je regardais la soirĂ©e Ă©lectorale avec la mĂȘme excitation qu’un match de foot et je connaissais la diffĂ©rence entre les cantonales et les rĂ©gionales). Le « gros » score du Front National y Ă©tait toujours une surprise. Les sondeurs expliquaient benoitement qu’on ne l’avait pas imaginĂ© si haut. Que c’Ă©tait difficile de mesurer le vote FN, parce que, vous comprenez, « les gens n’osent pas dire qu’ils votent FN ».
Les temps ont bien changé
Dans le dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, on dĂ©couvre que lorsqu’iels sont interrogé·es, 54â% des sympathisant·es RN dĂ©clarent spontanĂ©ment ĂȘtre racistes. Si l’on ajoute ceux qui ont encore un brin de pudeur et de sens des valeurs morales (on y revient plus tard) et qui sont racistes, mais n’osent pas l’avouer, et ceux qui ont encore trop d’estime d’eux-mĂȘmes pour se l’avouer, on ne doit pas ĂȘtre trĂšs loin des 100â%. Ce qui est sĂ»r, c’est que 100â% des Ă©lecteurs du RN font preuve d’une complaisance coupable vis-Ă -vis d’un parti qui a fait du fait d’Ă©tablir des diffĂ©rences entre les ĂȘtres humains suivant leur couleur de peau, leur religion, leur orientation sexuelle, leur genre et que sais-je encore, sa colonne vertĂ©brale (et si vous cherchiez dĂ©sespĂ©rĂ©ment la diffĂ©rence fondamentale et structurelle entre l’extrĂȘme gauche et l’extrĂȘme droite, ne cherchez plus, elle est lĂ â ce qui ne justifie pour autant pas la complaisance vis-Ă -vis de l’extrĂȘme gauche, mais permet de comprendre qu’on ne saurait mettre les deux sur le mĂȘme plan). Ajoutez Ă cela que 79â% des Français dĂ©clarent dans la mĂȘme enquĂȘte qu’il est nĂ©cessaire de mener « une lutte vigoureuse » contre le racisme et vous avez sous vos yeux une belle bande de tartuffes. Une bande de tartuffes qui en a manifestement gros sur la patate, mais une bande de tartuffes quand mĂȘme.
đĄ J’en ai gros…
La faute Ă qui ?
Si j’Ă©cris ce texte, c’est que moi aussi, d’une certaine façon, j’en ai gros. Parce que quand on pose la question « non mais c’est la faute Ă qui ou Ă quoi le vote RN ? » beaucoup de choses y passent, de la mondialisation Ă MĂ©lenchon, en passant par Macron, Mark et Elon ou les jolis petits pavillons, mais ce n’est jamais, au grand jamais, la faute du RN ou de ses trĂšs nombreux Ă©lecteurs et un poil moins nombreuses Ă©lectrices.
Le summum du genre Ă©tant la tribune de l’artiste de gauche qui expliquera que le vote RN c’est sa faute, Ă lui la gauche (qu’il incarne bien entendu), parce qu’il n’a pas su parler aux classes populaires, permettant par la mĂȘme occasion de dresser un portrait totalement caricatural du vote RN et de ses motivations et de se placer, en bon Ă©gocentrique, au centre et Ă l’origine de toute chose, comme seule la vraie gauche peut le faire (IsraĂ«l-Palestine ? C’est notre faute. Le terrorisme islamiste ? C’est notre faute. La guerre en Ukraine ? C’est notre faute. La dĂ©faite de Slimane Ă l’eurovision ? Ah ça non par contre c’est pas nous).
Mea culpa ?
Hier encore, j’entendais un (haut) responsable syndical nous expliquer que l’Ă©lecteur RN c’Ă©tait quelqu’un qui s’Ă©tait fait berner. Et de lister des motivations du vote RN parmi lesquelles avaient disparu le racisme, l’homophobie ou la misogynie. Mine de rien, je trouve ça paternaliste et condescendant. Quelles que soient les difficultĂ©s dans lesquelles doivent se dĂ©battre certains (et pas tous, trĂšs loin s’en faut) des Ă©lecteurs RN, je n’ai pas envie de leur parler comme Ă des enfants qui ont fait une bĂȘtise. J’ai envie de leur parler comme Ă des adultes, responsables de leurs actes. Et de leur dire que leur choix est inacceptable. Moralement inacceptable. Je me doute bien que ça ne leur fera pas plaisir, je me doute bien que ça ne les fera pas changer d’avis, mais comme le dit Waly Dia, ils votent dĂ©jĂ RN, nous avons peur de quoi ? Qu’ils glissent le bulletin plus fort dans l’urne ? Moi, j’ai envie qu’il y ait de nouveau une barriĂšre morale qui empĂȘche de voter RN parce que non, on ne peut pas voter pour la haine des autres (et si vous pensez lĂ tout de suite que « bah si manifestement, on peut », je prĂ©cise que ce « peut » c’est un may ou un dĂŒrfen, pas un can ou un können et une bise aux profs de langue). Qu’on la reconstruise collectivement cette barriĂšre et qu’on soit de nouveau des millions dans la rue quand le RN fait 17â% et pas 200 000 quand il fait 35â%. Certains disent que la morale ça marche pas pour combattre le RN. Moi, j’ai plutĂŽt l’impression que c’est l’absence de morale qui marche super bien pour le faire monter.
Le RN parle des vrais sujets ? Ah ouais, vraiment ?
Insécurité ?
Dans cette mĂȘme intervention le responsable syndical, dĂ©cidĂ©ment pas ultra-inspirĂ© ce matin-lĂ , faisait cette description de l’Ă©lecteur RN : « c’est quelqu’un Ă qui la gauche a dit que l’insĂ©curitĂ© ça n’existait pas, mais qui rentre dans sa banlieue le soir et qui doit faire face Ă l’insĂ©curitĂ© et Ă la montĂ©e de l’islamisme ». Alors, je ne sais pas bien d’oĂč sort cet exemple, mais il ne reprĂ©sente clairement pas la majoritĂ© de ce que l’on sait aujourd’hui ĂȘtre l’Ă©lecteur ou l’Ă©lectrice RN (dont le profil est par ailleurs de plus en plus divers).
Il y a tellement de territoires aujourd’hui oĂč le vote RN est trĂšs fort et oĂč l’insĂ©curitĂ© et la population immigrĂ©e n’existent que par le biais des Ă©crans dont on s’abreuve Ă longueur de temps. Ă l’opposĂ©, bien que Bobo de gauche du 11á” arrondissement (ouh la la, l’antĂ©christ du XXIe siĂšcle) je suis confrontĂ©, habitant donc Paris et travaillant Ă Bondy, Ă bien plus d’insĂ©curitĂ© et d’islamisme que la trĂšs large majoritĂ© des Ă©lecteurs RN. Une des mosquĂ©es intĂ©gristes les plus connues de France est Ă 200 m de chez moi. Le Bataclan est Ă 100âm dans l’autre sens. J’en passe et des meilleurs. Je ne vote pas RN pour autant, mais, ce qui est plus pertinent, les gens autour de moi, Ă Paris et Ă Bondy, ne votent pas non plus RN. Ils votent mĂȘme RN moins qu’Ă peu prĂšs partout ailleurs en France.
Pas d’accord
DerriĂšre la formule du responsable syndical sur l’Ă©lecteur RN, il y avait un peu de cette idĂ©e qui a lentement infusĂ© : le RN parlerait de vrais sujets, son seul tort Ă©tant d’y apporter de mauvaises rĂ©ponses (notre prĂ©sident ne dit pas autre chose) et le grand tort de la gauche serait de ne pas vouloir ou de ne pas pouvoir parler des vrais sujets et de s’enferrer dans l’idĂ©e qu’il faut faire la morale aux gens. Et bien si j’en ai gros aujourd’hui (et je n’en veux pas des masses Ă ce responsable syndical, ce discours, il est rĂ©pĂ©tĂ© partout) c’est parce que je ne suis pas du tout, mais alors pas du tout d’accord avec ça.
Valeurs morales
Je n’ai pas envie
Je l’avoue, je ne sais pas comment on fait baisser le vote RN. Ă priori, je ne suis pas le seul et si quelqu’un·e a la solution, qu’elle ou il se signale avant le dimanche 7 juillet. Mais quitte Ă voir cette peste brune nous submerger, je n’ai pas envie :
- De dire que l’immigration est un vrai souci dans ce pays alors que tous les spĂ©cialistes montrent au contraire que ce n’est pas le cas.
- De dire que l’insĂ©curitĂ© ne cesse d’augmenter dans ce pays alors que toutes les Ă©tudes sur la longue durĂ©e tendent Ă prouver le contraire (et oui, j’ai la flemme de vous le prouver, mais vous trouverez des preuves dans cet excellent billet de GwenaĂ«l Le GuĂ©vel)
- De dire que les vrais sujets d’importance dans ce pays ce sont l’islam, la fraude aux allocations sociales et le « grand remplacement » lĂ oĂč les sujets d’importance sont (entre autres) la rĂ©partition des richesses, l’Ă©vasion fiscale, les discriminations et surtout le fait que notre planĂšte risque assez vite de devenir inhabitable pour les ĂȘtres humains.
- De renoncer aux valeurs morales (depuis quand c’est devenu pĂ©joratif d’ailleurs « la morale » ?) qui font par exemple que j’estime intolĂ©rable les discriminations entre les ĂȘtres humains (on se sent un peu seuls parfois en ce moment avec des idĂ©es aussi simples).
OĂč en sont nos valeurs ?
En tant que professeur d’histoire-gĂ©ographie et de temps en temps d’enseignement moral et civique, j’ai Ă©tĂ© un peu agacĂ© ces derniĂšres annĂ©es que l’on utilise Ă tort et Ă travers l’expression « Valeurs de la RĂ©publique », parfois pour justifier des choses pas forcĂ©ment opportunes. Mais je me demande : quand un parti xĂ©nophobe, homophobe etc. menace d’arriver au pouvoir, elle est oĂč la lutte pour les valeurs de la RĂ©publique ? Parce que moi, ces derniĂšres semaines, je vois un gros gros souci de valeurs de la RĂ©publique. Et s’il y a bien une chose que j’ai envie de faire par la suite, quel que soit le rĂ©sultat du 7 juillet, c’est de rappeler consciencieusement Ă mes Ă©lĂšves que le racisme, l’homophobie, la transphobie, la misogynie (j’en oublie sans doute) ne sont pas compatibles avec les valeurs de la RĂ©publique.
Bon vote les ami·es. TĂąchons de tenir bon, la boussole Ă la main et les valeurs en tĂȘte.
Florent
Pour aller plus loin…
La-progression-de-l’extrĂȘme-droite-une-prophĂ©tie-autorĂ©alisatrice