La rémunération au "mérite". Le sujet revient régulièrement sur la table. Retour ici en détail sur ce principe que nous refusons.
1) La rémunération au mérite a déjà existé…et a fait la preuve de son inefficacité et de son inéquité
Rémunérer les enseignant.e.s au « mérite », c’est en fait une vieille idée, mise en place depuis bien longtemps. Voyez plutôt : dans le système qui prévalait jusqu’en 2017, les enseignant.e.s étaient évalué.e.s par l’IEN ou le chef d’établissement et l’IPR. Ces évaluations donnaient lieu à une note chiffrée qui elle-même conditionnait la rapidité de l’avancement. Ainsi la rémunération de l’enseignant.e évoluait bien en fonction de son « mérite » supposé. Ce système complexe et relativement opaque conduisait à de fortes disparités dans les carrières enseignantes, comme le montre le graphique ci-dessous qui compare une carrière à l’ancienneté et l’autre au grand choix pour un.e certifié.e, PE ou PLP. Au total : plus de 10% de rémunération de différence sur la carrière soit environ 150 000 euros de nos jours.
Ces différences étaient difficiles à comprendre, cumulatives au fil de la carrière et relativement peu perçues par les enseignant.e.s. Mais il s’agissait bien là d’une rémunération « au mérite ».
Quel « mérite » d’ailleurs ? Car en réalité le système était inique et injuste. L’évaluation par l’IEN ou l’IPR (déterminante) ne se faisait que sur la base d’une courte visite et d’un entretien. Le tout à une fréquence totalement aléatoire. Pire, le rang de concours, qui déterminait la note initiale, pesait très longuement sur la carrière.
Le processus d’évaluation se retrouvait lui complètement phagocyté par les perspectives de carrière qui en découlaient. Au lieu d’un modèle évaluation/remédiation/progression, on se retrouvait dans un modèle évaluation/notation/sanction.
Au final ce dispositif :
- ne permettait pas une évaluation qui soit bénéfique pour l’amélioration des pratiques ;
- amenait de fortes différences entre les personnels qui reposaient sur des critères d’appréciations aléatoires et ne correspondant pas à la réalité du métier ;
- et créait des inégalités systémiques entre territoires, disciplines et genres.
On est finalement surpris que ce modèle ait pu subsister aussi longtemps sans être réellement inquiété. Le Sgen-CFDT n’a, lui, jamais cessé de le dénoncer.
2) Avec PPCR : des progrès, mais peut mieux faire
L’application du PPCR à partir de 2017 a amené de nombreux progrès.
- Les processus d’évaluation ne sont plus aléatoires mais répartis dans le temps de la même manière pour toutes et tous.
- Dans le 2nd degré, les regards du chef d’établissement et de l’IPR sont portés en même temps et se complètent.
- Le rythme d’avancement est le même pour tous les personnels, à l’exception des 3 rendez-vous de carrière du 6e, 8e et 9e échelon.
- Par conséquent les différences entre une carrière « classique » et une carrière « accélérée » sont désormais bien plus faibles : de l’ordre de 3,5% de la rémunération sur la carrière, soit environ 50 000 euros pour un.e PE, certifié.e ou PLP.
Mais de nombreux problèmes demeurent :
- l’évaluation demeure trop rare et trop courte, n’est pas répartie tout au long de la carrière et reste systématiquement liée à des perspectives de promotion accélérée ;
- les « accélérateurs de carrière » des 6e, 8e et 9e échelons continuent d’entretenir le lien entre évaluation et avancement qui empêche le développement d’une nouvelle culture de l’évaluation fondée sur l’amélioration des pratiques et non leur jugement ;
- les quotas à respecter en terme de promotions accélérées amènent parfois à des incohérences entre les avis remplis par les évaluateurs et les avis de synthèse réalisés par les recteurs ou rectrices
3) Le Sgen-CFDT et la rémunération au mérite : un refus clair et constant
« Des mérites individuels impossibles à établir ». Voici ce que disait la résolution du dernier congrès en date des Sgen-CFDT en 2016. Pour notre organisation il est totalement illusoire et contre-productif de vouloir mesurer un « mérite individuel » alors que nos professions s’exercent dans le cadre de collectifs de travail et au contact d’un public varié, multiple et changeant.
Ainsi le Sgen-CFDT a pour revendications historiques :
- la disparition de l’inspection traditionnelle, dont la forme ne pouvait permettre une réelle réflexion et amélioration des pratiques, d’autant plus qu’elle était systématiquement polluée par les éventuelles conséquences en termes de perspectives de carrière ;
- l’avancement de toutes et tous au même rythme tout au long de la carrière ;
- l’évaluation collective, et à partir de regards croisés, des pratiques pour permettre leur amélioration et non pour permettre l’avancement plus rapide de certains.
En cohérence avec ces revendications fortes, le Sgen-CFDT s’était opposé lors des négociations PPCR à la mise en place des accélérateurs de carrière, contrairement par exemple au syndicat majoritaire.
4) Comment reconnaître l’investissement des personnels ?
Pour le Sgen-CFDT, tout personnel qui remplit sa mission de service public est méritant.
Vouloir distinguer le mérite des un.e.s plutôt que des autres n’a guère de sens. Par contre, il est nécessaire de reconnaître quand les personnels s’investissent de manière exceptionnelle dans leurs missions. Beaucoup de collègues choisissent, à certains moments de leur carrière, de s’investir encore davantage dans leur métier. Cela peut être via des projets pédagogiques, des actions de coordination, des missions de formation, des partenariats etc.
Ces engagements, qui peuvent être objectivés, doivent être reconnus par l’employeur, via des procédures transparentes et collégiales. Cela n’a alors rien à voir avec le « mérite » et correspond bien à un investissement supplémentaire des personnels.
Lorsqu’il mêle une revalorisation -qui est en fait une compensation pour le décrochage des rémunérations et les futurs effets de la réforme des retraites- et « amplification » de la dimension de « mérite » dans la rémunération, le ministre fait donc tout bonnement fausse route.