Depuis de nombreuses années, les modalités d'évaluations sont débattues au sein de l’École : les couleurs, les smileys, les feux, les échelles descriptives, les ceintures... Mais s’intéresser au comment ne doit pas nous faire oublier le pourquoi.
Évaluations… l’écart entre ce que projette l’enseignant et ce que vit l’élève
« Il a 5 ans. Devant lui, son cahier. Une belle maison pleine de joie, qui déborde de couleurs. En guise de soleil, un smiley qui fait la tête… ☹️ Compétence coloriage non acquise. À 5 ans, il comprend que son dessin a fait de la peine à quelqu’un. Il est en pleurs en revenant de l’école. »
« Il vient de finir son premier trimestre de seconde…
« – Ça se passe comment cette année à l’école ?
– C’est bon, j’ai la moyenne… »
… Rien à ajouter. »
« Séance de badminton. Travail par groupes avec une fiche d’observation. Le ton monte sur l’un des terrains :
« – Vas y ! Applique toi, faut que j’ai des croix partout, c’est noté !
– Non, ce n’est pas noté… Elle a dit que c’était pour s’observer.
– Mais t’es bête ou quoi, la prof va ramasser les feuilles ! » »
« « – J’aurai un « compliment » (petites étiquettes dans le carnet) si je distribue les documents ?
– Non, pourquoi ?
– Parce que je vous aide ! » »
Petits exemples qui nous montrent combien il peut y avoir d’écart entre les intentions initiales de l’enseignant, et le ressenti et la compréhension des élèves… Contrat plus ou moins explicite des évaluations. Outillages plus ou moins signifiants… L’évaluation a le mérite de faire effet de loupe sur ces faces cachées de la relation enseigner-apprendre.
Évaluer quoi ? Et Pour quoi ?
Des constat qui peuvent venir nous interroger : les nombreuses incompréhensions sur le sens de nos retours d’évaluation, les manifestations quasi addictives de certains élèves à nos retours, les nombreux échecs de nos élèves face aux évaluations normatives…
Quelle est l’activité réelle d’apprentissage d’un élève ? Quelles compétences effectives l’élève doit-il mobiliser pour « réussir » l’évaluation proposée ? Quel peut-être l’impact d’un retour écrit, imagé, oral ? Comment j’utilise l’évaluation comme un vecteur de motivation extrinsèque ou intrinsèque pour les mettre au travail ? Les repères apportés font-il référence au chemin d’acquisition propre à l’élève ou à une norme extérieure préalablement définie ?
Une collègue du premier degré, connue pour son site Charivari nous explique comment, à partir de ces questions, elle a investi le système des ceintures dans son enseignement.
Quand on apprend à faire du vélo, qui comptabilise le nombre de fois où on s’est écorché les genoux avant d’y arriver ? Avec le système des ceintures, l’élève a le droit de ne pas réussir du premier coup. Il ne reste pas sur un échec : il repasse la ceinture jusqu’à la réussite et, le jour où il réussit, les échecs précédents ne comptent plus. Les erreurs, les échecs, servent à pointer les obstacles à franchir. Ils sont utiles, ils servent de marchepieds vers la réussite.
Évaluations pour donner des repères aux élèves
Comme nous le montre cette collègue, le travail par compétences peut être vu comme une opportunité de questionner notre regard sur l’élève et son activité d’apprentissage. En corollaire, il invite à questionner son enseignement et ce que chacun met derrière les termes d’acquisition, de réussite.
L’école peut apporter à l’élève des repères dans son chemin d’acquisition. L’école est aussi aujourd’hui celle qui trie, classe, rejette, oriente… Et elle va pour cela donner des repères. Quelles que soient les modalités d’évaluation, il nous semble alors intéressant de nous demander quel va être ce repère : l’endroit où l’élève est arrivé dans son cheminement ou la norme attendue à tel ou tel âge ? Deux conceptions sont en jeu.
Daniel Favre évoque sur ce point trois formes d’évaluations qui pour lui sont nécessaires aux apprentissages : diagnostique, formative ou sommative selon que l’on se trouve avant, pendant ou après l’apprentissage.
Elles reposent sur deux conceptions complémentaires de l’erreur : information intéressante ou écart à la norme.
Sur quelle réussite l’École se fonde-t-elle ?
Les questions actuelles sur les évaluations nationales posent cette question. Le Ministre a choisi de maintenir les évaluations nationales « comme un rituel nécessaire ». C’est bien une attente de repère à la norme extérieure qui a été choisie ici, et ce, sans prise en compte de la crise sanitaire et de la période de confinement, ce qui peut encore interroger sur ce qui peut faire norme commune en septembre 2020 pour nos élèves…
Le Sgen-CFDT interroge ce choix et souligne que :
Les enseignant·es n’ont pas attendu ce dispositif pour mettre en place, comme chaque année, au sein de leur classe, des outils de repères permettant d’estimer le niveau de leurs élèves. De même, ils sont à même de penser leur propres outils de remédiations pédagogiques.
Faire le choix de positionner une cohorte vis à vis de repères définis à priori comme significatifs d’une réussite scolaire, c’est avoir posé en amont, la forme de réussite attendue à l’école. C’est ici la fonction de positionnement qui est en jeu sur des compétences très ciblées et modalités d’expression. Envisager la notion de réussite, sans en définir au préalable les critères, mais en s’intéressant au chemin d’apprentissage et d’épanouissement d’un enfant amèneraient d’autres choix. Les deux repères existent, il faut être au clair avec nos attentes.
On peut alors se demander si l’on ne consacre pas trop souvent notre énergie à nous opposer sur ces modalités d’évaluation (notes, lettres, couleur…), ou à nous y conformer. En effet, ne ferions-nous pas mieux de la consacrer à nous interroger sur ce qui pourrait être la boussole commune de l’École et ce qui nous empêche de cheminer.