Prenez soin de vous en actes, et pas seulement en #findemessage. Chronique d'un PE sous temps de Coronavirus.
On n’était pas prêt
Dans ma petite école, l’ambiance était cordiale avec mes deux collègues. Pas plus, pas moins. Une école qui fonctionnait « en bonne intelligence ». Chacun gardait déjà un peu ses distances. Les gestes barrières étaient déjà là.
Le vendredi 13 mars, l’école s’est arrêtée. Pendant les deux mois du confinement l’équipe pédagogique s’est volatilisée. Mes tentatives pour la faire vivre sont restées vaines. « Ce n’est pas la priorité ». Au début, à peine quelques mails pour assurer un minimum de fonctionnement, c’est tout. Pour le reste, chacun sa « continuité pédagogique » avec ses élèves… et surtout chacun sa vie.
Les mails échangés faisaient apparaître des petites tensions. J’ai déjà lu quelque part que les mots ne sont que 30 % du langage, ou un truc comme ça. Il manque le ton de la voix qui rassure, le regard qui en dit long, le petit froncement de sourcil qui apporte le sous-titrage.
Un truc surréaliste
Pourtant partout autour de nous des visios, des groupes Whatsapp… Plus la date du déconfinement approchait, plus les enseignants s’agitaient sur les réseaux sociaux, chacun chez soi derrière son ordi ou son smartphone. Notre directrice, « Anne », (appelons-la comme ça) attendait des nouvelles de notre inspecteur, « Monsieur Diallo » (appelons-le comme ça), avant de s’engager à quoi que ce soit. Mais du côté de l’inspection, rien ne venait. Puis vint la découverte du « protocole ». Pas de jeux, pas de matériel collectif, pas de contact physique… Un truc surréaliste, encore inimaginable il y a quelques semaines. Je découvre dans Ouest-France que Anne s’est confiée à une journaliste sur son rôle de directrice en temps de Coronavirus. « Un témoignage fort ».
Finalement Anne nous envoie un mail. Elle a eu Monsieur Diallo au téléphone. Il faut faire comme ceci, comme cela. C’est bon, elle prépare tout. Elle nous envoie tout ça : c’est urgent. Elle nous demande quand même ce qu’on en pense. Mon autre collègue est pressée de reprendre. Pas moi, je dis (j’écris) qu’on pourrait prendre le temps de réfléchir, mais je ne suis pas entendu. Le lendemain, Anne se dit qu’il faut montrer la nouvelle organisation aux parents élus, avant de l’envoyer à tout le monde. Parmi ces derniers, une maman regrette de ne pas avoir été associée plus tôt aux décisions et s’en ouvre vivement à Anne. Elle demande un délai supplémentaire, que cette dernière est bien obligée de lui accorder malgré l’urgence ressentie.
Une équation à plusieurs inconnues
Chez moi, c’est un peu la tuile. Mon fils, scolarisé en petite section, ne sera pas accueilli dans son école. Mes jumeaux, encore bébés, ne seront pas non plus accueillis, au moins de temps en temps, à la garderie. Ma compagne a beau être en congé parental, s’occuper de trois enfants en bas âge, toute seule tout au long de la journée, ça va être très compliqué. Les repas, les changes, les courses, les jeux… Là, ça coince.
Solidarité ?
J’informe Monsieur Diallo de ma situation. Je lui demande s’il est possible de télétravailler au moins un peu dans la semaine, au début. Je pense que mon mail n’est pas allé plus loin que le bureau de la secrétaire. Mes collègues : « Mais ta femme elle est en congé parental, non ? ». La réponse de la secrétaire est à peu près du même ordre, en langage plus administratif peut-être, genre carte « chance » du Monoply. « Vous avez une solution de garde donc vous devez aller en classe » (sans passer par la case départ ni toucher les 20 000 Francs, évidemment).
J’organise avec les familles la possible nouvelle organisation de la classe à partir du déconfinement. Je leur dit qu’il pourrait, peut-être, y avoir des changements dus à des problèmes d’organisation personnelle… Le « peut-être » n’était, peut-être, pas assez appuyé.
Le lendemain, j’apprends que finalement je peux demander une « autorisation spéciale d’absence » pour pouvoir m’occuper de mes enfants. Mes collègues, toujours : « Mais comment tu pourrais avoir une autorisation d’absence… alors que ta femme est en congé parental ? » Je doute un peu. Autour de moi on me soutient dans ma démarche. Les copains du syndicat aussi. Ils m’aident. La solidarité est bien réelle, ouf.
Il abuse ou il n’abuse pas ?
Nous sommes à la veille du déconfinement. J’apprends que ma demande est sur le bureau du directeur académique. Si elle est acceptée je ne pourrai prévenir mes familles que la veille pour le lendemain. Cela risque d’être compliqué, les parents et leurs enfants n’attendent qu’une chose : retourner à l’école, revoir les copains, les copines, et leur maître.
Je reçois un mail d’Anne. Elle me dit qu’elle a encore eu Monsieur Diallo au téléphone et que je serai remplacé si je devais être absent, car « il est hors de question qu’elle prenne mes élèves ». Anne est plutôt du genre sympa, mais il ne faut pas trop l’embêter.
Lundi, jour de pré-rentrée. Quand nous abordons le fait que je ne serai peut-être pas là demain, c’est l’incompréhension : « Mais moi aussi j’ai trois enfants ! Moi aussi j’aimerais bien rentrer à la maison » (ses enfants sont ados). « Tout le monde pourrait le demander ! » S’ensuit un petit débat plus ou moins agréable, pour me faire comprendre que, en gros, j’abuse.
Tu as vu le mail de la maman ?
A midi, appel de l’inspecteur : « Si ce dont vous avez besoin, Monsieur G., c’est de rester à la maison pour soulager votre compagne, je vous mets en télétravail ». Surprise, Monsieur Diallo comprend ma situation.
Je préviens dans la foulée les parents. Retour sans tarder, par mail, d’une maman pas contente du tout. Tout y passe, de la pandémie mondiale à la SOLIDARITÉ nécessaire en passant par toutes les valeurs à transmettre à nos enfants. Elle est déçue, vraiment déçue. Pourtant cette maman est prof… comme moi. D’autres parents me disent comprendre (un peu) même si forcément, ils sont déçus eux aussi. Anne vient me trouver, goguenarde : « Tu as vu le mail de la maman ? ». Toujours sympa, Anne.
Casse-tête chinois
Mardi soir, j’ai besoin de passer à l’école pour faire passer du matériel à des élèves de ma classe. C’est un peu les retrouvailles avec les parents. Depuis « l’école à la maison », nous avons développé des liens nouveaux. Je leur parle de ma situation. Un papa, carrément fâché derrière son masque, m’exprime son besoin de faire tourner son entreprise sans ses gosses dans les pattes… Au fil de la discussion vient l’idée que je pourrais redemander à mon inspecteur de pouvoir venir à l’école le matin et de travailler à distance l’après-midi. Ça arrangerait tout le monde.
Mail dans ce sens à l’inspecteur le soir-même. Sa réponse le lendemain : Ok.
Le moral revient. On fera classe le matin, l’école à distance l’après-midi jusqu’à la fin du mois de mai. Monsieur Diallo me demande de ne pas me précipiter pour reprendre, de bien caler ma nouvelle organisation pour ménager les autres classes, et de ne commencer que le lundi suivant. « On monte en puissance en douceur ».
Un retour à l’école gâché
Lundi, je retrouve mes CP, contents, avec nos nouveaux gestes barrières et nos mètres de sécurité. Je félicite mes élèves pour avoir réussi à avoir tenu la durée du confinement. « C’était le premier épisode du Coronavirus ! » Là, on entre dans le deuxième : celui du déconfinement ! Je leur dis qu’ils sont très jeunes, mais qu’ils ont déjà quelque chose à raconter à leurs petits enfants… À la récréation, je croise ma collègue. Je pense qu’elle est malade, ou pas bien… Les mails sont de plus en plus secs. Cassants. Je comprends que mes deux collègues sont fâchées.
Puis vient l’explosion. Soudaine, violente. Anne et ma collègue me disent que dans mon cas, le télétravail, c’est légal, mais pas moral, INJUSTIFIABLE… Elles me font comprendre, plus ou moins gentiment, que « personne ne peut accepter ça, qu’ils sont drôlement gentils les parents dans le village ». Je m’étais juré de ne jamais régler mes problèmes par mails. Voilà que l’on s’écharpe joyeusement derrière nos écrans respectifs. Je me rends compte, surtout, des ravages des non-dits, du nombre de situations où, réellement, on ne s’est pas compris.
Il faudra du temps
Juin arrive bientôt. Fini le télétravail. Pour les enfants, on appellera de l’aide à droite ou à gauche, ou plutôt à droite ET à gauche. A mes côtés, mon fils joue aux Playmobils. Il a de la chance.
« Prenez soin de vous », qu’ils disaient !
Merci à Cerq pour l’illustration ! (La Fête du strip)