Témoignage d'un collègue directeur dans une école de Pornichet en Loire-Atlantique sur les conditions de travail réelle des directeur·trices d'école lors de ce premier épisode du COVID-19
Chaos organisé
Les conséquences du confinement dans le champ éducatif ont montré un système à bout de souffle. Hyper hiérarchisé issu d’une tradition jacobine où tout doit partir du sommet de l’État pour ruisseler par voie hiérarchique jusqu’au terrain, indépendamment des spécificités des territoires.
Dans la panique de la gestion de la pandémie, la lenteur habituelle a fait place à des injonctions contradictoires régulières. Entre interventions du 1er ministre, du ministre de l’Éducation, des recteurs d’Académie, des Inspecteurs d’Académie, le tout interprété avec plus ou moins de zèle par les inspecteurs de circonscriptions, derniers maillons de la hiérarchie du système éducatif.
Le discours officiel, souvent démagogique, était bien loin des réalités du terrain.
Dès le début, en particulier dans le primaire, les équipes ont été mobilisées dans l’accueil des enfants des personnels soignants. Sans aucune protection, sans protocole sanitaire, à un moment où on ne savait pas grand-chose de la dangerosité de la pandémie. Ils l’ont fait avec beaucoup de solidarité. Dans mon école, on a accueilli les élèves des personnels soignants des écoles de Pornichet quotidiennement, par petits groupes, dès le 16 mars.
L’école virtuelle en route…
Le ministre de l’Éducation a rapidement communiqué sur la mise en place d’une continuité pédagogique qui ne laisse personne au bord du chemin, dès le premier lundi sans école, avec les outils du CNED, les messageries académiques et autres plateformes type eprimo, elyco : c’était comme envoyer tout le monde sur les routes un soir de vacances ! Il en a résulté un embouteillage monstre avec des parents affolés et des collègues désemparés par des outils qui ramaient en permanence.
Très rapidement, il a fallu s’adapter, choisir les bons horaires de connexion. Et comme on pouvait l’imaginer, on a pu constater que cette continuité pédagogique allait laisser de côté les enfants qui en avaient le plus besoin. Les décrocheurs ont été le sujet principal d’inquiétude de la période de confinement avec parfois les violences familiales qui pouvaient aller avec.
Déconfinement phase 1 et 2
Surcharge de travail des directeurs·trices
Puis la décision d’une reprise du 11 mai est arrivée. Après des interventions contradictoires entre 1er ministre et ministre de l’Éducation sur les classes devant reprendre, en commençant par le premier degré (reprise du travail des parents oblige) avec un protocole sanitaire extrêmement contraignant (10 élèves maxi par classe en maternelle, 15 maxi en élémentaire, port du masque pour les adultes, distanciation, désinfection, interdiction aux parents d’entrer à l’école, aux enfants de se toucher, de toucher les mêmes objets – on imagine les conséquences psychologiques de tout ça pour des enfants de maternelle). Protocole reçu le lundi 11 mai pour un démarrage le lendemain.
Les directeurs et directrices d’écoles, dont la surcharge de travail avait déjà été très médiatisée en début d’année scolaire suite au suicide de l’une d’entre eux, se sont retrouvés avec une charge de travail inédite, soirées et week-end compris.
Les écoles font tampon entre le gouvernement et les parents
Là aussi, injonctions impossibles du ministre de l’Éducation, qui communique sur la nécessité de cette reprise pour les élèves décrocheurs en particulier, et dont on verra très vite qu’ils ne reviendront pas, l’école étant devenue sur la « base du volontariat » ; exit l’école obligatoire ; en ouvrant leur parapluie, certains oublient sciemment ce qui avait motivé l’obligation scolaire voulue par Jules Ferry.
Mensonge aussi sur une communication qui dit que les élèves vont pouvoir reprendre l’école un jour sur deux. Pourtant une classe maternelle compte en moyenne une trentaine d’élèves et le protocole sanitaire donne un maximum de 10 élèves. Sans compter que dans certains secteurs géographiques, quand on accueille quotidiennement les enfants des personnels prioritaires (liste définie par la préfecture), il ne reste parfois qu’une ou deux places quotidiennes par classe pour les autres. On doit alors dire aux parents qu’on ne prendra leur enfant que 2 fois en juin ! Sans compter aussi que tous les enseignants n’ont pas repris en présentiel. Il a bien fallu intégrer leurs élèves dans les groupes accueillis. Je vous laisse imaginer le temps passé sur la constitution des plannings, avec des demandes de prises en compte des fratries, des jours de travail des parents.
Communication abusive sur les dispositifs 2S2C à mettre en œuvre en urgence
2S2C à préparer alors que les municipalités n’ont pour la plupart ni les moyens humains ni les possibilités matérielles de les mettre en place.
Déconfinement phase 3 : école obligatoire le 22 juin !
Et pour finir, une nouvelle injonction contradictoire avec la communication du chef de l’État invitant, enfin, au retour obligatoire de tous les élèves mais dans une distanciation latérale d’1 mètre qui ne permet pas de le faire. Il faudra attendre le mercredi soir 17 juin pour obtenir un protocole qui s’applique à partir du 15 juin. Je n’invente rien. Celui-ci relativise cette exigence du mètre pour rendre le retour de tout le monde possible. Mais tout va bien, puisqu’un décret signé du 15 juin nous permet d’organiser la fête de l’école… Cela aura eu le mérite de nous faire rire, c’est déjà ça.
Fin d’année bien particulière avec beaucoup d’inquiétudes sur la reprise de septembre et le retour à l’école. En particulier pour les élèves qui n’auront pas été accompagnés scolairement pendant 6 mois ! La vraie question est là et l’était avant la pandémie.
Quelle politique éducative pour un système scolaire qui soit plus égalitaire ?
Une grande fatigue aussi des directeurs d’écoles dont il va être temps de s’occuper – un projet de loi à ce sujet est débattu en ce moment.
Pour aller plus loin…