Holacratie #1 : la fin de la hiérarchie actuelle

Nous faisons ici l’hypothèse que la principale source de dysfonctionnements de nos organisations provient d'une pyramide bien ancrée dans nos têtes. Elle trouve sa source dans ce lien de subordination lié à un statut et pas à des compétences. Avec l'holacratie, on passe de la pyramide aux cercles.

Quelle que soit l’organisation dans laquelle vous arrivez, si vous demandez qu’on vous en dessine l’organigramme, il y a de fortes chances qu’on se rapproche de ce type de hiérarchie :

Les relations "sur le papier"
Image extraite de https://labdsurlholacracy.com/

Et puis après seulement quelques mois (jours?), vous comprenez qu’il s’agit plutôt de ça:

Jeux de pouvoir dans la pyramide
Image extraite de https://labdsurlholacracy.com/

Pour finir par le résumer à cela:

Hiérarchie

L’holacratie propose une nouvelle architecture en mettant fin au lien de subordination lié au statut et en dissociant les personnes de leur rôle. La bascule à comprendre : plutôt que d’organiser les personnes, nous commençons par organiser le travail à faire en différents rôles pour qu’ensuite les personnes prennent plusieurs rôles. Le schéma suivant peut permettre de percevoir ce changement de logique.

Des personnes qui énergisent leurs rôles
L’holarchie hiérachise le sens de ce que l’on fait et pas les personnes !

On peut ainsi dire qu’il s’agit de la fin du management, en ce sens que chacun(e) a toute autorité dans son rôle et que tout le monde peut être parfois leader, parfois suiveur.  Ce fonctionnement permet de dépasser les polarités manager/managé, haut/bas, inférieur/supérieur, horizontal/vertical, démocratie directe/démocratie représentative. En effet, pouvoir être à la fois administrateur et administré était un des principes fondateurs des premières démocraties. Mais il nous manquait l’outil pour le mettre en pratique. Voici les changements de logique qu’il permet s’il est utilisé correctement (puisqu’un outil reste un outil).

Hiérarchie actuelle Holarchie
Une séparation haut/bas Holos: la partie dans le tout, le tout dans la partie
Une hiérarchie intermédiaire tiraillée en permanence Deux rôles distincts: premier lien et second lien
La bureaucratie, une perte de temps et d’énergie Une communication plus fluide
Le contrôle (infantilisation) La confiance a priori (responsabilisation)
La compétition La coopération

Séparation haut/bas vs holarchie

Vous avez probablement déjà observé un des symptômes de la pyramide les plus flagrants dans l’Education Nationale : vous êtes considéré comme étant passé du côté obscur de la force dès que vous passez l’étage prof. On retrouve par ailleurs tout un tas de corps, de grades et autres échelons au sein même de la profession enseignante. Nous sommes pétris de classements divers et variés.

Au Sgen, on a dépassé cette culture là depuis un bon moment; c’est notamment ce qui explique que les enseignant(e)s cotisent au même syndicat que les personnels de direction (que d’autres syndicats appellent chefs d’établissement). La plupart d’entre eux restent chez nous quand il ont le concours parce qu’il tiennent à cette dimension générale et à la collégialité que nous revendiquons. Ils n’ont pas l’impression ni l’envie de changer de personnalité en prenant ces nouvelles responsabilités. Au sein de nos syndicats, nous avons aussi à rompre définitivement avec une vision pyramidale. Même si nous pouvons témoigner qu’elle est parmi la plus avancée sur ce plan, la confédération est sans cesse en recherche d’évolutions pour faire vivre le D de CFDT.

La bureaucratie, le mille-feuille, le paquebot, le mammouth : le Graal de la simplification administrative

Une des conséquences directes du fonctionnement pyramidal est la bureaucratie qu’elle implique. Une perte de temps due au “respect de la chaîne de commandement”. Je sais qui a la main mais non ! Il faut quand même que je passe par 2 ou 3 personnes. Deux exemples dans l’EN: le premier dans un mouvement montant dans la pyramide: un enseignant débutant essaiera une fois de s’adresser directement à celui qu’il estime avoir l’autorité puis on lui fera très vite comprendre qu’il faut passer “sous-couvert de…”, qu’on ne s’adresse qu’à son “n+1”, etc. Second exemple dans un mouvement descendant: quand une circulaire « descend du ministère », chaque étage de la pyramide met sa petite touche, occulte tel ou tel passage, met l’accent sur tel autre. Et on le comprend aisément : des gens étant arrivés à ces niveaux de pyramide ne vont pas se contenter d’un rôle de courroie de distribution ! En holacratie, on va où nous pousse le bon sens: vers le rôle qui a l’autorité sur ce dont j’ai besoin.

Autre symptôme de cette séparation haut/bas : le système actuel induit le principe que celui d’en bas n’aura jamais grand chose à apprendre à celui d’en haut, alors que dans l’holarchie, on peut être parfois leader sur certains dossiers mais suiveur sur d’autres et ne pas être « spécialiste de tout ».

Enfin, dans la logique pyramidale, l’organisation perd des compétences lorsque quelqu’un « monte d’un étage ». Des gens, qui étaient bons dans des rôles, ne les font plus du tout. L’holarchie ne laisse plus de prise au principe de Peter (principe ainsi résumé sur Wikipédia: « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence »).

Une hiérarchie intermédiaire tiraillée en permanence

Autre symptôme très courant de la hiérarchie: la hiérarchie intermédiaire est tiraillée en permanence entre la loyauté à son équipe et celle due à ses supérieurs. Dans l’Education Nationale, les personnels de direction connaissent bien ce tiraillement : on leur demande d’être à la fois les représentants de leur établissement auprès du rectorat et les représentants du rectorat auprès de leur équipe.

En holacratie, deux rôles structurels sont créés pour dissocier ces deux fonctions. Les rôles de Premier et Second lien.

Cercles et sous-cercles
Image tirée du livre « la révolution Holacracy » de Brian Robertson

Contrôle vs Confiance a priori

Le roi est nu
Le pouvoir fantasmé du n+1…

Beaucoup de personnes ayant pratiqué l’holacratie parlent d’un véritable changement de paradigme, d’un changement de culture. C’est le passage d’une culture du contrôle à une culture de la confiance a priori. Lorsqu’on arrive dans les étages du haut de la pyramide, on se rend compte de l’illusion du contrôle mais on ne peut plus la mettre à jour puisque ce serait démasquer l’imposture. Le roi ne veut pas être vu tout nu…

L’holacratie rend donc possible la fin de l’infantilisation. Chacun a toute autorité dans ses rôles donc chacun a sa part de liberté, d’autonomie. C’est également le statut de l’erreur qui n’est plus du tout le même. En acceptant le caractère volatil, incertain, complexe et ambigu (VICA) de la plupart des sujets, on peut passer d’une culture « prédire et contrôler » à une culture « sentir et s’ajuster ». D’une culture « réussir du premier coup » à une culture de l’essai/erreur.

Compétition vs coopération

Dernière conséquence et pas des moindres : le passage d’une logique de compétition à une logique de coopération.

Dans un organigramme pyramidal, par définition, les places en hauteur sont chères. Il va falloir marcher sur du monde pour grimper.  Je vais même retirer du plaisir, me sentir plus fort en rabaissant l’autre, parce que je serai passé au-dessus de l’autre (ce qui correspond à la définition de la perversion ou de l’addiction à la violence chez Daniel Favre). La compétition est encouragée pour stimuler les troupes ; la carotte et le bâton sont les outils principaux de la bonne marche du collectif. 

En holacratie, comme les rôles et les projets de chacun(e) sont transparents et qu’il n’y a plus de pyramide à grimper, les jeux de pouvoir n’ont plus d’intérêt. Au cours des réunions nous tentons de résoudre des tensions en nous mettant à l’écoute des besoins des différents rôles (voir l’article #3 du dossier sur les réunions pour plus de détails). 

La seule ambition qui survive dans un tel système est celle de progresser sans cesse (la formation tout au long de la vie, un thème « très CFDT » également). Celle que Daniel Favre a appelé la motivation d’innovation. Elle sera encouragée et nourrie en permanence.

Conclusion

D’un côté le vertical descendant (N. Sarkozy en était l’emblème à l’UMP. E. Macron le jupitérien semble également à l’aise dans ce présidentialisme français). De l’autre le super horizontal, tout le monde donne son avis sur tout et à la fin on ne prend pas de décisions ou alors ces dernières sont contestées en permanence (comme chez les Verts, ou les « mouvements des places » comme Nuit Debout). Dans les deux cas, on n’aboutit pas à grand chose puisque dans le premier, un homme seul, aussi charismatique soit -il, ne dispose que d’un cerveau et de 24 heures comme tout le monde et dans le deuxième, le plus petit dénominateur commun de la juxtaposition de volontés individuelles sera le statu quo. Tous les collectifs sont à la recherche d’un fonctionnement entre démocratie directe et démocratie représentative. S. Royal avait amené ça dans sa campagne et avait appelé cela la démocratie participative. P. Rosanvallon écrit que nous sommes à la préhistoire de la démocratie.  D. Rousseau, Professeur de droit constitutionnel préconise la construction d’une démocratie continue. L’holacratie est un outil qui devrait nous permettre d’avancer sur cette voie.

Article suivant: Holacratie #2 : raison d’être contre perte de sens.

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