Quelle que soit l'école ou l'établissement que vous visiterez, il est fort probable que vous retrouviez un jeu de tir à la corde entre trois courants : le courant traditionnel, le courant moderne et le courant progressiste. Alors que faire ? Continuer de tirer… ?
Ce texte est une traduction libre et augmentée de ce webinaire en anglais de Rob MacLeod « Bras de fer entre chaque courant du système scolaire ».
Quelle que soit l’école ou l’établissement que vous visiterez, vous retrouverez un jeu de tir à la corde entre trois courants : le courant traditionnel (les autres qualifieront leurs membres de “conservateurs”, et disqualifieront leur vision un peu ringarde d’une école à la grand-papa). Le courant actuel, moderne (que les autres regarderont comme le “troupeau mainstream” dont ils sont fiers de ne pas faire partie). Et le courant progressiste, post-moderne (les autres les appelleront “pédagogistes”, “donneurs de leçons” ou conseiller péda 😉). Je fais ici l’hypothèse (et la proposition) avec Rob MacLeod que nous gagnerions à conserver ce que chaque paradigme nous a apporté. Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain plutôt que d’essayer de faire gagner une vision plus que l’autre.
Le courant traditionnel (modèle maître/apprenti)
Le mode de pensée : il y a une Voie qui semble la meilleure. “Nous sommes passés par là : nous avons été ignorantes et ignorants, nous avons suivi nos maîtres, nos mentors. Nous allons maintenant vous montrer”. Description un peu caricaturale, mais courante, des élèves en réussite tout le long de leur scolarité et qui deviennent profs (et qui vont avoir du mal à comprendre pourquoi, diantre, on ne comprend pas alors que c’est si facile et intéressant).
Si vous posez des questions dans une école principalement centrée sur ce modèle, on vous parlera de devoir(s) et de tradition, de programme. Les méthodes que vous pourrez observer : la cohérence (tout le monde doit suivre le rythme, pas de fonctionnements à part, il faut que les choses soient uniformes). L’expertise (le prof, c’est l’expert). Une pyramide claire de commandements (avec des rôles, responsabilités et valeurs bien réparties et cloisonnées – IG, IA-IPR, Dasen, Formateur, Prof, “chacun à sa place et une place pour chacun”, « chacun ses prérogatives »). Une collaboration par disciplines (pour s’assurer que tout le monde apprend les mêmes choses et utilise la même méthode).
Pour ne pas tout jeter avec l’eau du bain, souvenons-nous que cette manière de faire a installé l’autorité de l’expert, des rites de passage, le sens du collectif (mascotte, appartenance…), des règles, de l’ordre. Ne serait-il pas intéressant de conserver ces apports ? Les règles, par exemple, permettent d’installer un cadre sécurisant qui va permettre la liberté et la créativité, et que de plus grandes choses soient possibles. Le compagnonnage a produit et produit encore de belles réussites. D’ailleurs, nous pratiquons encore beaucoup ce modèle : TEDX, conférences, Formations en ligne pseudo-interactives, vidéos de développement personnel.
Le modèle actuel moderne, c’est celui de la préparation olympique (modèle coach/athlète)
Le postulat de départ : il y a plusieurs manières d’arriver au même but. On est alors sensible aux intelligences multiples mais on fixe toujours le même programme, le même aboutissement pour tout le monde (DNB, BAC).
“Nous allons trouver la manière optimale pour toi. Et nous allons mesurer tes progrès et réalisations ». On se fixe des objectifs, des buts à atteindre avec des niveaux de performance et une stratégie. Publications des résultats et comparaisons font flores (apparition du classement des lycées). On se dit pragmatiques et on fait du benchmarking pour prendre ce qui fonctionne ailleurs. Les profs préparent leurs cours en picorant sur internet. Le ministre fait ses réformes en picorant au Danemark ou à Singapour.
Dans une telle école, on vous parlera alors de programmes et de stratégies. Les méthodes qu’on peut observer dans ce type d’école : la différenciation, un enseignement basé sur l’évaluation. On ne se base plus uniquement sur l’opinion du maître pour savoir si on est prêt ou pas. Ce sont des données objectives qui doivent nous donner le niveau des uns et des autres.
À conserver si l’on souhaite inclure ce que portent ces valeurs ayant apporté une place plus importante à l’épanouissement individuel :
Des mesures standardisées (et pas des objectifs standardisés). Une ingénierie de l’apprentissage (en pédagogie : plusieurs voies sont possibles). La mobilité sociale. Des buts clairs/des critères plus transparents/du feedback en conséquence pour aider les élèves à progresser.
Le courant progressiste, post-moderne (modèle conseiller/conseillé)
Le mode de fonctionnement : accompagner chacun·e sur son chemin de vie. Le programme n’est plus au centre. On part plutôt de l’élève, de son environnement et de tout le contexte d’apprentissage. Tout cela pris en compte pour amener chacun·e de là où il ou elle est au plus loin qu’il ou elle peut. Ce qui est appris par l’élève (son curriculum, là où il ou elle en est) va prendre de l’importance par rapport à ce qui est enseigné et prévu pour la même classe d’âge (les programmes). Dans le modèle olympique précédent, on vous apprend à être plus rapide, plus intelligent·e, plus habile, meilleur·e. Mais si à la fin de la journée, vous n’avez pas envie de faire les Jeux, pas le choix. Vous devez vous entraîner, que ç’ait du sens pour vous ou non.
Si vous questionnez autour de vous dans une école principalement centrée sur ce modèle, on vous parlera de sens, d’apprentissage par exploration, de personnalisation et de coopération, de structures de gouvernance partagée, de compétences transdisciplinaires et psycho-sociales (CPS).
Ce qu’il y a à conserver et qui devrait parler aux autres dans un tel contexte d’incertitude et d’hyperindividualisme : des relations authentiques (on ne laisse pas sa personnalité au porte-manteau quand on rentre à l’École et on tisse des liens résonnants), la coopération, le doute (pour se préserver du dogmatisme), l’émotionnel ajouté au rationnel (et pas substitué).
Peau, pulpe et noyau
Aujourd’hui, il me semble que le modèle proposé par notre ministère depuis 2017 est celui d’une apparence progressiste (confiance, réussite de toutes et tous) sur une pulpe olympique (mérite, sélection, compétition). Un système dans lequel le principal objectif reste : “Comment améliorer les résultats aux évaluations nationales ?” (et/ou internationales). Tout ceci étant mis en œuvre avec une culture jacobine profonde et des pratiques descendantes pyramidales très traditionnelles : un noyau bleu ! Ceci pour montrer que ces trois courants de valeur œuvrent sans arrêt simultanément.
Voici un exemple de vernis progressiste avec un noyau compétitif. Lorsqu’on met en place 10 minutes de méditation laïque ou qu’on apprend aux élèves à respirer calmement, on se demande dans la foulée : quelle efficacité cela peut avoir ensuite sur les évaluations ? On lance alors des recherches pour savoir si 10 minutes sont plus efficaces que 5 ou si 7 minutes. Des collègues de cette école peuvent avoir l’impression de faire des choses pour le bien-être, pour la santé physique et mentale des élèves (et ils le font !). Mais si vous leur demandez pourquoi ils et elles le font, ce sera pour avoir de meilleurs résultats scolaires.
On peut retrouver le même phénomène avec un vernis olympique sur une école traditionnelle en son cœur (celle qui veut tester les uniformes). Le meilleur moyen de découvrir la couleur du cœur ou de la pulpe principale : en cas de stress ou de pression sur le système, le vernis ou la peau craque et révèle ce qu’il y a en dessous.
Conclusion
On retrouve donc là une vision holarchiste du réel. Chaque évolution transcende et inclut la précédente. Chaque système de valeurs a apporté son lot de solutions. On n’a pas forcément à les abandonner en bloc quand on passe à autre chose.
Au Sgen-CFDT, par exemple, nous nous qualifierons rapidement de “progressistes”. Mais attention de ne pas nous couper de personnes qui tiennent légitimement à conserver des repères, des traditions. Un terme que nous avons tendance à connoter de manière négative alors que certains sont des repères rassurants, des fondations.
D’ailleurs, pour vous en convaincre, ne passons-nous pas, plus ou moins consciemment, toutes et tous par ces étapes en tant que profs, parents ou éducateurs ? Peut-être que vous vous êtes un peu retrouvé·es dans chacune de ces écoles, dans chacune de ces courants ? On arrive au début de sa carrière en se voyant en grand·e Guide qui va mener le troupeau sur les voies de la Connaissance. On comprend assez vite que tout le monde ne va pas suivre le berger à la même vitesse. Donc, on adapte et on essaye de différencier. Puis, on finit par se rendre compte qu’il va falloir faire les deux en même temps. C’est-à-dire coopérer, faire tous ensemble tout en essayant d’arriver à ce que chacun·e y trouve son compte (Uni·es dans la diversité ?😉). On se dit qu’on est parfois maître, parfois coach, parfois conseiller.
Ici un autre article sur le modèle de la spirale dynamique en France plus généralement : la-france-est-bleue-comme-une-orange.
Si vous êtes intéressé·es pour mettre en place le protocole proposé à la fin de la vidéo anglaise pour y réfléchir en équipe, vous pouvez nous écrire à nantes@sgen.cfdt.fr, nous viendrons animer ce temps avec plaisir.