Premier edito de Gwenael LE GUEVEL de l'année scolaire 2017-18 sur ce qui relèverait dans notre champ professionnel du "en même temps" et sur ce qui n'en relèverait pas afin de ne pas tomber dans un relativisme dans lequel tout se vaudrait.
De la nuance, et en même temps une pensée complexe, pas de manichéisme, sortir des oppositions stériles : blanc ou noir, pour ou contre, pédagogue ou républicain, droite ou gauche… La posture semble séduisante : enfin des gens pragmatiques qui vont nous sortir des débats idéologiques de salon ! Mais alors d’où vient parfois ce sentiment désagréable de se faire enfumer ? Comment ne pas tomber dans un relativisme qui ferait que tout se vaudrait ?
Je fais ici l’hypothèse que le désormais célèbre “en même temps” ne peut pas fonctionner pour tout et qu’il y a des valeurs avec lesquelles nous ne souhaitons pas transiger. L’enmêmetempisme, c’est comme le cholestérol, il y en a du bon et du mauvais.
Des “en même temps” qui fonctionnent et dédogmatisent.
Philippe Meirieu dans “Faire l’école, faire la classe” le développe très bien. Toute personne qui se donne pour mission d’éduquer se trouve confrontée à des tensions inévitables. Nous avons alors tendance à osciller de l’un à l’autre des pôles dans un mouvement de balancier plutôt que de trouver des outils nous permettant de dépasser ces tensions, voire de les rendre fécondes. Exemples :
- Tension entre les programmes et l’intérêt des élèves. Comme enseignant, je sais que je vais devoir jongler entre les deux et que le “bon dosage” est le travail de toute une carrière.
- Tension entre l’autonomie et la dépendance. Je fais des choix pédagogiques mais ma liberté s’exerce à l’intérieur d’un cadre défini qui (me) protège de dérives
- Tension entre les conditions de travail des personnels et les conditions d’apprentissage des élèves. Quiconque s’est un peu intéressé à la constitution d’emplois du temps sait qu’il faudra tenir compte d’intérêts pas toujours convergents et que la bonne alchimie sera celle qui saura tenir compte des deux pour entraîner un cercle vertueux.
- Tension entre le respect préalable de l’ordre scolaire et la découverte progressive de la loi. La loi pré-existe pour les élèves mais en même temps nous souhaitons qu’ils participent à des dispositifs démocratiques pour se l’approprier. Un élève ne devient pas “magiquement” citoyen à 18 ans.
À toutes ces oppositions j’ai envie de répondre: “les deux mon capitaine”. En effet, celui qui fait un choix définitif entre deux pôles prend le risque de s’enfermer dans un dogme et les logiques d’affrontement qui vont avec. Il s’agit donc d’essayer de concilier les deux et d’inventer des outils ou dispositifs permettant de les dépasser.
Des “en même temps” qui brouillent le sens.
Mais nous sommes aussi confrontés à des choix, des dilemmes moraux, des conflits de valeurs qui demandent le courage politique de trancher. Premier exemple : coopération contre compétition. Notre système éducatif ne peut pas être organisé en même temps sur des bases coopératives et compétitives. Nous souhaiterions que le tri social ne se fasse qu’après la construction d’un socle commun citoyen. Nous estimons donc que nous devrions faire le choix délibéré et assumé de la coopération, au moins le temps de la scolarité obligatoire.
Deuxième exemple : école inclusive contre logique de structures. On ne peut pas financer à la fois des AVS dans toutes les classes pour accompagner les élèves et des structures pour accueillir ces élèves à l’extérieur de l’école. On ne peut pas en même temps inclure et externaliser. D’ailleurs, on ne devrait même pas se sentir obligé d’ajouter des adjectifs à société ou à école. Le terme même de “société inclusive” est là pour nous rappeler qu’elle ne l’est pas… C’est pourquoi le Sgen-CFDT soutient l’objectif affiché de la loi de 2005. Ce qui n’empêche pas de poursuivre le combat sur la répartition des moyens pour l’ASH.
C’est en poursuivant ce travail de clarification de ce qui relève de l’enmêmetempisme et de ce qui n’en relève pas que nous donnerons du sens à nos actions et que nos boussoles arrêteront de s’affoler.
« L’homme « sain » n’est pas celui qui a éliminé de lui-même les contradictions : c’est celui qui les utilise et les entraîne dans son travail » Maurice Merleau-Ponty.